Ce nouvel indicateur financier qui veut faire oublier la crise du coronavirus
(Source : Les Echos Executive du 18/6/2020)
Certaines entreprises ont commencé à utiliser un nouvel indicateur, l'EBITDAC, qui leur permet de présenter leur performance opérationnelle en obérant les effets de la pandémie sur leurs comptes. Les analystes, investisseurs, comme les régulateurs jugent cet outil inapproprié.
Les financiers ont une imagination débordante. Au point de fabriquer un nouvel indicateur financier qui permet de faire comme si l'épidémie de coronavirus n'avait pas existé et qui neutralise dans les comptes l'impact de la crise économique qui a suivi. Le nom de cet indicateur est un nouvel acronyme baptisé « EBITDAC ».
L'EBITDAC est en réalité l'EBITDA, un indicateur de performance déjà utilisé par les directions financières, auquel un « C » pour « coronavirus » a été ajouté. Cet acronyme anglais signifie « Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, Amortization & Covid », soit « bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations, amortissements, retraité des effets liés au coronavirus ».
Schenk Process a rajouté 5 millions d'euros à son résultat
Fin mai, un groupe industriel allemand, Schenk Process, a ainsi présenté à la communauté financière un EBITDAC. Il a rajouté à ses résultats du premier trimestre 2020 plus de 5 millions d'euros de bénéfices qui auraient été réalisés en l'absence de mesures de confinement. Le résultat du groupe est donc présenté en hausse de 20 % sur un an, au lieu d'une baisse de 16 %.
Mi-mai, la société pharmaceutique espagnole Rovi avait, elle aussi, annoncé pour le premier trimestre un EBITDAC en hausse de 77 % par rapport à l'an dernier. Aux Etats-Unis, mi-mai, c'est CES Energy Solutions Corp, qui a communiqué sur son EBITDAC. Ce nouvel indicateur peut-il supplanter l'EBITDA, dans le monde de la communication financière et des valorisations ?
L'EBITDA, un indicateur scruté
L'EBITDA est un indicateur extrêmement scruté par les investisseurs et les banques. Il permet de déterminer si l'entreprise est en bonne santé financière, et par conséquent est extrêmement utilisé dans les contrats d'endettement. Ces derniers comportent souvent des clauses de remboursement anticipé, généralement qualifiées de « covenants bancaires », qui obligent l'emprunteur à respecter certains ratios financiers. Parmi ces ratios, il y a celui qui rapporte les dettes financières à l'EBITDA. Or, l'EBITDA a fondu à cause du Covid.
Communiquer sur l'EBITDAC est évidemment plus flatteur d'un point de vue financier. Cela peut éviter aux entreprises en difficulté de devoir honorer leurs échéances de remboursement si jamais les covenants n'étaient plus respectés ou encore d'emprunter plus dans les mois qui viennent, parce que leurs perspectives seraient meilleures.
Les limites de l'EBITDAC
Pour les analystes financiers, l'EBITDAC a ses limites. Cet indicateur repose sur le postulat selon lequel la crise sanitaire actuelle est un élément extérieur aux conséquences limitées dans le temps et dont l'impact est mesurable. Mais les analystes ne partagent pas cette analyse.
L'ELFA (European Leveraged Financial Association), une association européenne professionnelle dans l'industrie financière, a averti. « Le calcul de la capacité d'endettement à l'aide de l'EBITDAC est inapproprié. Il n'est en aucun cas garanti que l'EBITDAC reflète des tendances opérationnelles prospectives et il ne doit donc pas être considéré comme un indicateur fiable pour calculer un ratio ».
Du côté des régulateurs, le discours est à peu près similaire. En avril, le gendarme boursier européen, l'ESMA (European Securities Market Association) exhortait les entreprises « à faire preuve de prudence lorsqu'elles ajustent les mesures de performance pour tenir compte de l'impact de Covid-19 ».
Auteur : Laurence Boisseau

 

 

 

L’analyse d’Advisio Corporate Finance 

L’EBITDAC correspond à un EBITDA retraité de l’impact négatif des conséquences de la crise sanitaire. Or pour considérer la pertinence de ces retraitements, il faut pouvoir justifier de leur caractère non récurrent et du fait que leurs impacts ne vont pas toucher pas la structuration même de l’activité et de son organisation.

 

Le plus souvent dans la réalité il ne sera pas crédible que l’EBITDAC qui serait mis en avant par un cédant pour essayer de mieux valoriser son entreprise soit considéré par l’acquéreur.

 

En effet il faut alors se poser la question de savoir si les performances 2019, avant la crise sanitaire, pourront être retrouvées en 2021. Nous savons que malheureusement cela ne sera probablement pas le cas dans la grande majorité des activités : les difficultés constatées dans des secteurs directement touchés comme notamment le retail, l’événementiel, le transport, la restauration ou encore le tourisme vont engendrer inéluctablement un effet boule de neige sur les autres secteurs moins touchés et un ralentissement global de l’économie pendant un certain temps, rendant ainsi incertain et limité le rebond de la croissance dans un avenir proche.

 

Dans ce contexte, l’impact négatif des conséquences de la crise sanitaire nous semble plus diffus et prégnant à moyen terme sur la rentabilité d’une entreprise que le simple coût exceptionnel ou la perte d’activité constatée sur la période de confinement.

 

Plus qu’un EBITDAC il faut donc pour valoriser au mieux son entreprise dans ce contexte chiffrer précisément les impacts de la crise sur les comptes 2020 en mettant en évidence à partir de quel mois post confinement successivement le retour aux bénéfices puis enfin à un niveau de rentabilité similaire à celui de 2019 s’opèrent. Et avoir des arguments très étayés (carnet de commande, contrats récurrents...) pour donner une bonne visibilité sur une prévision 2021.