Coronavirus : force majeure et imprévision
(Source : Les Echos Executive du 25/3/2020)
 

Si le coronavirus est susceptible de constituer une cause de force majeure, selon l'article 1218, certaines sociétés pourraient être tentées, de leur côté, d'invoquer un cas d'imprévision permettant aux parties de renégocier leur contrat dans les conditions de l'article 1195 du Code civil. Mais on ne parle d'imprévision que si l'exécution de l'obligation par le débiteur n'a pas été rendue impossible, mais «excessivement onéreuse».

 

Afin de limiter ou d'exclure toute responsabilité liée à l'exécution d'un contrat, des entreprises invoquent et vont invoquer un cas de force majeure liée à la propagation du virus.  L'Etat a d'ores et déjà fait savoir qu'il considère la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 comme un cas de force majeure et, qu'en conséquence, il n'exigera pas de pénalités de retard dans le cadre des contrats qu'il a pu conclure avec des entreprises privées. Qu'en est-il pour les contrats passés entre les sociétés, et plus généralement entre personnes privées ?

 

Extériorité, imprévisibilité, irresistibilité

 

Selon l'article 1218 du Code civil, la force majeure est caractérisée lorsque, de manière cumulative, il survient un événement qui échappe au contrôle du débiteur (extériorité) ; qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité) ; et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (irrésistibilité). La seule existence d'une épidémie ne suffit donc pas à constituer un cas de force majeure. Il incombera au contractant qui l'invoque de démontrer que ces conditions sont réunies.

 

S'agissant de l'imprévisibilité, il serait possible de considérer que cette condition est respectée pour les contrats passés avant la déclaration de la propagation du virus. Pour ceux passés à compter de la déclaration, il pourrait être opposé à la partie invoquant un cas de force majeure que la condition d'imprévisibilité n'est pas respectée. Les parties à un contrat peuvent décider librement d'adapter ou de modifier les conditions requises pour établir un cas de force majeure. Elles peuvent même choisir de l'exclure de leur accord.

 

Durée de la force majeure 

 

Selon les dispositions de l'alinéa 2 du Code civil : « Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. » A la différence du Code civil qui ne prévoit pas de délai précis pour distinguer empêchement temporaire et définitif, les clauses de force majeure stipulent très fréquemment un délai au-delà duquel chacune des parties pourra librement résilier le contrat, après une période de négociation pour éviter la résiliation.Il sera vraisemblablement fait référence à la notion de « délai raisonnable ». 

 

Si le coronavirus n'est pas susceptible de constituer une cause de force majeure, selon l'article 1218, certaines entreprises pourraient être tentées d'invoquer l'imprévision, désormais admise par l'article 1195 du Code civil. A la différence de la force majeure, les événements permettant de l'invoquer doivent rendre l'exécution d'un contrat non pas impossible mais « excessivement onéreuse ». Si c'est le cas, la partie qui s'en prévaut peut demander à la juridiction qu'elle saisirait, une révision du contrat ou sa résiliation. Faute d'accord entre les parties, le juge peut soit imposer la révision du contrat, soit en prononcer la résiliation aux conditions qu'il détermine.

 

Auteurs : Jean-Pascal Bus et Philippe Hameau, avocats associés du cabinet Norton Rose Fulbright